Dans l’imaginaire collectif français, quelques notes de musique ou un slogan suffisent à évoquer la SNCF. Parmi ses accroches publicitaires, “Prenons le train” (1970-1980) reste un jalon essentiel. Apparu lors d’une période de mutation pour la marque ferroviaire – entre déclin de la vapeur et essor du TGV –, ce slogan a transcendé la simple campagne marketing. Créé pour revitaliser une entreprise publique en quête de modernité, il incarne une invitation collective au voyage, mêlant pragmatisme et poésie. Son analyse révèle comment trois mots ont influencé la culture du voyage en France, marquant un tournant dans l’histoire de la communication des transports.
Contexte historique : une renaissance après la crise
En 1970, la SNCF émerge de décennies tumultueuses : destructions de la Seconde Guerre mondiale (20% des moyens perdus 2), concurrence accrue avec la voiture, et statut juridique hybridé (société d’économie mixte depuis 1937 1). Le slogan “Prenons le train” coïncide avec la fin des locomotives à vapeur et l’avènement des rames Corail (1975), symboles de confort moderne. La marque cherche alors à reconquérir les voyageurs, dans un contexte où le chemin de fer paraît dépassé. Les premières campagnes, diffusées en TV et affiches, mettent en scène des familles ou des amis partageant des trajets sereins – un contraste avec l’image de retard persistante.
Coulisses de création : l’art de la simplicité
Si le créateur exact reste inconnu, l’anecdote révélatrice réside dans son rejet des discours techniques. Alors que la SNCF communiquait sur ses records de vitesse (331 km/h en 1955 10), “Prenons le train” opère un virage vers l’humain. L’idée-force ? Transformer un mode de transport en expérience partagée. Le choix de l’impératif pluriel – “Prenons” – n’est pas anodin : il suggère une action collective, presque un acte citoyen, en phase avec l’esprit post-68 valorisant le lien social.
Analyse sémantique : décryptage d’un mantra
- “Prenons” : Une injonction douce, inclusive. Elle implique que la SNCF et le voyageur agissent ensemble.
- “le train” : Un terme générique, mais lourd de symboles. Il évoque le voyage terrestre, opposé à l’avion (élitiste) ou la voiture (individuelle).Ce slogan publicitaire emblématique escamote volontairement les détails pratiques (prix, vitesse) pour privilégier l’émotion – une rareté dans le secteur des transports de l’époque.
Impact sur la marque : du slogan à l’identité
“Prenons le train” marque un tournant dans la stratégie de communication :
- Il humanise une entreprise publique perçue comme bureaucratique.
- Il prépare psychologiquement le terrain pour le TGV (lancé en 1981 10), en associant le train au plaisir.L’effet est tangible : entre 1970 et 1980, la fréquentation progresse, et le slogan devient un élément de culture populaire, repris dans des sketches (Coluche) ou des chansons. La SNCF capitalisera sur cet héritage avec des campagnes ultérieures comme “À nous de vous faire préférer le train” (1995 9).
Campagne publicitaire : une immersion sensorielle
La campagne ne se limite pas aux mots. Elle déploie :
- Des visuels iconiques : Traversées de viaducs enneigés, compartiments lumineux – contrastant avec l’image “brumeuse” du train.
- Une identité auditive : Le jingle “Do-Mi-Sol” (précurseur du son actuel 6) accompagne les spots.
- Des célébrités : L’acteur Jean Rochefort incarne le voyageur philosophe, crédibilisant le message.Les supports télé dominent, mais l’affichage en gares et dans les villes renforce l’omniprésence.
Impact sociétal : quand le train devient culture
Le slogan dépasse la publicité :
- Économiquement, il aide à stabiliser la fréquentation avant le boom du TGV.
- Socialement, il démocratise le train comme espace de vie – une idée reprise en 2023 par SNCF Voyageurs avec “Le train, nouvel espace de liberté” 3.
- Culturellement, il inspire des parodies (films Les Bronzés) ou des détournements militants (“Prenons le climat en main”).
Héritage : une longévité paradoxale
Officiellement abandonné en 1983 pour “Le train du bon temps à bon prix” 9, “Prenons le train” survit dans l’ADN de la marque :
- Il influence les campagnes ultérieures (“Rapprochons-nous”, 2016 10), privilégiant le lien humain.
- SNCF Réseau le réactive symboliquement dans des opérations comme #RestonsVigilants (2021 7), où l’impératif collectif sert la sécurité.Aujourd’hui, sa concision reste une référence pour les experts en marketing – preuve qu’un slogan peut incarner une philosophie bien au-delà de sa durée de vie.
Le slogan qui a embarqué la France
“Prenons le train” est bien plus qu’une accroche publicitaire : c’un miroir de l’évolution de la SNCF et de la société française. Né dans une ère de doute ferroviaire, il a transformé le train en symbole de partage et de modernité accessible. Sa force réside dans son apparente simplicité, masquant une mécanique sémantique précise – l’impératif pluriel créant une complicité inédite entre la marque et ses usagers.
Son héritage persiste dans les campagnes contemporaines (OUIGO “écolo sans faire exprès” 3) ou le design sonore des gares 6, où l’émotion l’emporte sur la technique. Dans un monde en quête de mobilité durable, ce slogan des années 70 rappelle une évidence : le voyage n’est pas qu’un déplacement, mais une expérience collective. La SNCF, en recyclant cet esprit, prouve que certaines idées d’avance – comme le plaisir de voyager ensemble – ne prennent jamais une ride.
ℹ️ Le saviez-vous ?
- “Prenons le train” a inspiré David Gilmour (Pink Floyd) pour sa chanson Rattle That Lock, utilisant le jingle SNCF de 2005 6 – preuve de sa perméabilité culturelle.
- La migration digitale de voyages-sncf.com vers OUI.sncf (2018) a réinterprété son esprit collectif dans l’ère numérique.