« Parce que je le vaux bien » : L’histoire révolutionnaire d’un slogan féministe devenu icône mondiale

Le contexte historique : une révolution dans la publicité sexiste

Au début des années 1970, l’industrie publicitaire est un bastion masculin. Les campagnes réduisent les femmes à des objets de désir ou à des rôles passifs, comme le montrent les publicités pour les cigarettes Virginia Slims ou les voitures Fiat. C’est dans ce climat qu’Ilon Specht, 23 ans, conceptrice-rédactrice chez McCann New York, refuse de perpétuer ces stéréotypes. En 1971, pour promouvoir la coloration L’Oréal Paris Préférence – alors le produit le plus cher du marché –, elle écrit en cinq minutes : « Because I’m Worth It » (« Parce que je le vaux bien »). Un acte de révolte qu’elle résume ainsi : « J’étais furieuse. J’ai pensé : Allez vous faire foutre ».

Les coulisses de la création : une anecdote emblématique

Lors d’une réunion dominée par des hommes, ceux-ci imaginent une femme séduisante près d’une fenêtre. Specht s’y oppose catégoriquement. Sa version originale du slogan publicitaire emblématique est plus longue : « Ce n’est pas que je me soucie de l’argent… En fait, peu importe que L’Oréal me fasse dépenser plus. C’est parce que je le vaux ». Contre l’avis initial de ses collègues, elle impose qu’une femme le prononce face caméra. La première campagne TV en 1973, avec la mannequin Joanne Dusseau, marque un tournant : pour la première fois, une femme affirme sa valeur sans référence masculine.

Analyse sémiologique : décryptage d’une phrase-culte

  • « Je » : Une révolution grammaticale. Le pronom subjectif place les femmes en sujets actifs, rompant avec les voix off masculines dominantes.
  • « Vaux » : Issu du verbe valoir, il associe la beauté à une valeur intrinsèque, non à la séduction.
  • « Bien » : Renforce l’affirmation, transformant l’acte d’achat en acte d’auto-affirmation.Ce choix lexical reflète l’esprit post-Mai 68 et la montée du féminisme, faisant du slogan un manifeste sociétal autant que commercial.

Impact économique et évolution des campagnes

Dès son lancement, le slogan propulse Préférence au rang de numéro 1 mondial des colorations en 1980. L’Oréal Paris l’étend à toute sa gamme en 1997, puis l’adapte pour cibler un public plus large :

  • 1997 : Passage du « je » au « vous » (« Parce que vous le valez bien ») pour inclure la consommatrice.
  • 2000 : Adoption du « nous » (« Because We’re Worth It »), renforçant la sororité.
  • 2004 : Extension aux hommes avec « Parce que vous le valez bien aussi ».

Les campagnes mobilisent des égéries internationales comme Jane Fonda (ambassadrice depuis 2006), Andie MacDowell, ou Viola Davis. Chaque spot, du TV au digital, montre des femmes affirmées, de tout âge et origine, scannant 73 ans de diversité.

Impact sociétal : bien au-delà de la beauté

Le slogan dépasse la publicité pour influencer la culture populaire :

  • Parodies : Les Guignols de l’info le détournent en « Parce qu’ils nous gonflent bien » lors du Festival de Cannes 1999.
  • Documentaires : The Final Copy of Ilon Specht, primé aux Oscars, explore son héritage féministe.
  • Engagement : L’Oréal Paris lance en 2020 Stand Up contre le harcèlement de rue, formant 3 millions de personnes via la méthode des « 5D » (Distraire, Déléguer, etc.).

Héritage et pérennité : un mantra intemporel

Traduit dans 40 langues, le slogan reste un pilier de la communication de la marque. Delphine Viguier-Hovasse, Directrice Générale Internationale, le résume : « Ce n’est pas un slogan, c’est notre mission. […] La confiance en soi, c’est le vrai pouvoir ». Son influence s’étend à d’autres campagnes modernes, comme Just Do It de Nike (lui aussi inspiré d’une figure marginale : le condamné Gary Gilmore), mais contrairement à ce dernier, « Parce que je le vaux bien » ancrait l’émancipation dans le quotidien des femmes.

Un manifeste en quatre mots qui transcende la cosmétique

« Parce que je le vaux bien » est bien plus qu’un outil marketing : c’est un phénomène culturel qui a reconfiguré le lien entre beauté et identité féminine. Né d’une colère créatrice, il a survécu à cinq décennies de mutations sociales grâce à sa capacité à se réinventer (je → vous → nous) tout en conservant son noyau révolutionnaire. Son impact sociétal se mesure à ses déclinaisons militantes (Stand Up), à ses adaptations internationales, et à sa pérennité dans un secteur pourtant éphémère.

Aujourd’hui, comme le souligne la féministe Isabelle Alonso, le vrai succès serait que le slogan devienne obsolète : « J’espère que dans 40 ans, on n’aura plus à revendiquer notre valeur. On dira simplement : « Parce que c’est comme ça » ». En attendant, L’Oréal Paris continue d’incarner cette mission via des ambassadrices comme Jane Fonda (86 ans) ou la scientifique Aimee Mullins, prouvant que la valeur personnelle n’a ni âge ni frontière. Le slogan emblématique reste un phare dans l’histoire du marketing, rappelant que les mots, lorsqu’ils sont portés par l’authenticité, peuvent bouleverser le monde

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