L’émergence d’un mantra publicitaire
En 2012, alors que Lay’s affronte une érosion de ses parts de marché face à des consommateurs en quête d’authenticité, la marque opère un virage stratégique. Le slogan « Plus de goût, plus de plaisir » émerge comme une réponse à cette crise, cristallisant une promesse duale : l’excellence sensorielle et l’expérience émotionnelle. Cette campagne s’inscrit dans la lignée des slogans historiques comme « Betcha can’t eat just one » (années 1960), mais avec une modernité adaptée aux attentes contemporaines. Le contexte est crucial : Frito-Lay, filiale de PepsiCo, vient d’être épinglé pour la teneur en sel de ses produits et peine à fidéliser les millennials. Le nouveau positionnement, orchestré avec l’agence Vivaldi Group, recentre la communication sur les moments de joie partagée plutôt que sur l’addiction au snack.
Les coulisses d’une création mythique
L’anecdote fondatrice révèle un travail d’ethnographie marketing minutieux. Des chercheurs ont observé des foyers américains lors de moments conviviaux (apéritifs, matchs de foot…), notant que le plaisir naissait moins du produit lui-même que des rires et échanges qu’il suscitait. « Plus de goût » fut choisi pour rassurer sur la qualité renouvelée des recettes (réduction de sel jusqu’à -40% dès 2019), tandis que « plus de plaisir » captait l’essence des interactions sociales. La concision du slogan – deux répétitions de « plus » – visait à mimer l’effet d’addiction tout en le sublimant en émotion positive.
Sémiologie : l’art de la densité sémantique
- « Plus » : Un comparatif qui promet une transcendance, évoquant l’abondance et l’optimisme.
- « Goût » : Mot polysémique liant saveur (papilles) et discernement (culture du bon choix).
- « Plaisir » : Terme hédoniste connotant partage, opposé à la culpabilité du grignotage solitaire.L’absence de sujet (qui donne le goût ? qui vit le plaisir ?) rend le slogan universel, invitant chaque consommateur à le personnaliser. La rime interne (goût/plaisir) crée un rythme mémorable, renforcé par l’équilibre binaire – une structure chère aux slogans publicitaires emblématiques.
L’impact économique : un tournant historique
La campagne « Plus de goût, plus de plaisir » génère un rebond spectaculaire : +20% de ventes en neuf mois aux États-Unis, et une hausse de 15% en France où Lay’s domine avec 39% de part de marché. Cet essor s’appuie sur trois piliers :
- L’innovation produit : Lancement des gammes cuites au four (-50% de matières grasses) et des saveurs régionales (Fromage du Jura, Oignon de Roscoff).
- Le marketing expérientiel : Food-truck « La Chipserie » avec chefs étoilés (Guillaume Sanchez, Mohamed Cheikh) lors de festivals de cinéma en plein air.
- Les concours participatifs : « Do Us a Flavor » (2012) ou « Crée ton goût » (2011) impliquant les consommateurs dans la création de recettes, avec à la clé 1 million de dollars pour le gagnant.
Campagnes publicitaires : du star-system à l’authenticité
Si les années 2000 misent sur des célébrités comme Lionel Messi (pub « Des moments à savourer »), les déclinaisons de « Plus de goût, plus de plaisir » privilégient l’authenticité. Le spot « Chien Voiture Fenêtre » incarne ce virage : un chien jubilant la tête par la fenêtre de voiture résume la joie simple – trois mots-clés déclinables régionalement (« Promenade-Apéro-Chihuahua » dans le Sud, « Eclaircie-Terrasse-Braderie » dans le Nord). Cette campagne, diffusée en TV et sur les réseaux sociaux, utilise le digital pour des défis viraux (#MaRecetteDeJoie).
Héritage culturel : traductions, parodies et pérennité
Le slogan « Get your smile on » (version anglophone) ou « La joie est une recette simple » en sont des prolongements conceptuels. Preuve de son ancrage culturel, il inspire parodies et détournements :
- Des mèmes associant « Plus de goût » à des légumes ennuyeux transformés en chips croustillantes.
- Une déclinaison chez un concurrent : « Plus de croquant, plus de fun » (dans le secteur ultra-concurrentiel des snacks salés).Aujourd’hui, bien que supplanté par des variations thématiques, son ADN persiste dans la plateforme de marque actuelle, qui reprend l’équation simplicité = bonheur.
L’alchimie durable d’une promesse
Lay’s a réussi, avec « Plus de goût, plus de plaisir », une synthèse rare entre impératifs nutritionnels, créativité marketing et résonance émotionnelle. Ce slogan publicitaire emblématique a transformé une crise en renaissance : en passant de l’addiction individuelle à l’échange collectif, la marque a redéfini la grammaire du plaisir alimentaire.
L’analyse de l’histoire du slogan Lay’s révèle une intelligence contextuelle remarquable. Face aux critiques sur le sel ou les graisses, « Plus de goût » légitimait les reformulations (comme la réduction de 25% de sel), tandis que « plus de plaisir » déplaçait le débat vers l’émotion. Cette dualité reste d’actualité : les innovations d’emballage (sachets 50% d’origine végétale) ou les collaborations culinaires régionales (Poulet Moutarde de Dijon, Vinaigre de Cidre de Normandie) prouvent que la quête de goût et de plaisir est un cycle vertueux.
Dans un marché saturé, où les marques alimentaires luttent pour la différenciation, Lay’s démontre qu’un slogan transcende la pub : il devient un contrat culturel. « Plus de goût, plus de plaisir » n’est pas une phrase – c’est un pont entre la pomme de terre cultivée en Hauts-de-France et le rire partagé lors d’un apéro. Cette alchimie, entre terre et émotion, explique pourquoi, près d’un siècle après sa création en 1932 par Herman Lay, la marque reste un géant du secteur du snacking, avec 11 milliards de dollars de ventes annuelles.
« La joie est une recette simple » : l’héritage de ce slogan, c’est d’avoir fait de chaque sachet de chips un ingrédient du bonheur quotidien.